Compliance : une banque avait suspendu des opérations de paiement au bénéfice d’une société dont le nom « Persian » évoquait l’Iran, pays soumis à un régime de sanctions internationales que les banques doivent impérativement prendre en compte.
Embargos, blanchiment et financement du terrorisme : la menace de lourdes sanctions et des obligations qui en supplantent d’autres…
Les banques et autres institutions financières sont de plus en plus confrontés au risque d’imposition de lourdes amendes en vertu des réglementations applicables en matière de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme, que ces règles soient nationales ou internationales – l’on pense notamment aux règles liées aux embargos et gels des avoirs.
Ces entreprises réglementées, de leur côté, ne disposent pas toujours des moyens suffisants, au sein des services compliance, pour analyser chaque dossier client et chacune des opérations qu’il contient. Elles redoublent donc de prudence à l’égard de leurs clients et leurs activités, et se trouvent parfois contraintes d’appliquer avec beaucoup – trop ? – de zèle le principe de précaution.
Ces règles d’ordre public et l’application de ce principe de précaution légitime peuvent parfois entraîner la violation de certaines obligations reprises dans le livre VII du Code de droit économique, notamment l’article VII.53 dont le premier paragraphe stipule que « le prestataire de services de paiement du payeur veille à ce que, après le moment de réception tel que défini à l’article VII.48, le montant de l’opération de paiement soit crédité sur le compte du prestataire de services de paiement du bénéficiaire au plus tard le premier jour ouvrable suivant. Ce délai peut être prolongé d’un jour ouvrable supplémentaire, en cas des opérations de paiement initiées sur support papier (…) ».
Une société néerlandaise dont la dénomination est associée à l’Iran ne reçoit plus le paiement de ses factures…
Un cas réel : un commerçant néerlandais exerce des activités en Belgique dans le domaine du commerce de produits de luxe sous une dénomination « Persian [fish eggs] Belgium »[2]. Elle vend des œufs d’esturgeon (caviar).
Certains clients de cette société paient leurs factures depuis leur compte bancaire ouvert dans les livres d’une banque belge. Le commerçant constate que ces paiements sont régulièrement bloqués par la banque des donneurs d’ordre, à l’ordre du service compliance. Certains paiements sont parfois débloqués après près d’un mois, ce qui impacte sa trésorerie.
A chaque blocage, la banque invite le client à lui produire des justificatifs, avant libération éventuelle des fonds. Elle sollicite notamment davantage de précisions sur le but économique de l’opération, une copie de la facture de vente sous-jacente, des précisions sur le contexte de l’opération incluant la description des biens vendus, leur origine et leur destination, et l’identification du bénéficiaire de l’opération. La banque se méfie et vérifie que les opérations ne sont pas liées à un pays sous embargo ou à une entité soumise à un régime de sanctions internationales / gel des avoirs.
… et qui assigne la banque de ses clients devant le Tribunal
Le commerçant décide d’assigner la banque de ses clients devant le tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles, entre autres sur base des règles contenues dans le livre VII du Code de droit économique, consacré notamment aux services de paiement. Il réclame des dommages et intérêts, n’étant en réalité nullement lié à l’Iran.
A l’occasion des débats, la banque indique que les blocages des paiements en question étaient lié au nom du commerçant, plus spécifiquement la dénomination « Persian », faisant référence à sa politique visant le respect des sanctions économiques et financières édictées par l’Union Européenne, les Etats-Unis et l’Organisation des Nations Unies. Ces sanctions et embargos visent notamment l’Iran, la Syrie, et certains individus.
Le tribunal a conclu à l’absence de faute dans le chef de la banque, compte tenu notamment des circonstances s’imposant à cette dernière, et notamment :
- l’existence d’un régime drastique de sanctions imposées par les Etats-Unis à l’égard de l’Iran, qui peut avoir des conséquences pour les banques dans le monde entier[3] ;
- l’obligation pour la banque de suivre les instructions de la Banque Nationale de Belgique, reprises notamment dans la circulaire du 6 décembre 2016[4] imposant aux établissements de crédit de superviser les opérations de leurs clients de manière automatisée. En l’espèce, la banque effectuait également des contrôles manuels ;
- l’obligation pour la banque, conformément à l’article 35 § 1 de la loi du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, de prendre les mesures nécessaires pour toujours disposer, entre autres, d’une fonction de contrôle indépendante (compliance) ;
- le nom commercial du demandeur contenant le mot « Persian », son site internet faisant par ailleurs référence aux « pêcheurs iraniens » ;
- la communication par la banque, via son site web, des possibles interférences que les procédures de contrôle mises en place peuvent avoir sur les opérations de paiement ;
Pour le tribunal, malgré les inconvénients subis par le commerçant, la banque s’est comportée de manière diligente et prudente.
Cet article a notamment fait l’objet d’une publication dans la revue « D.A.O.R. » n°137, 2021/1 (Kluwer), commentée par les auteurs de ce site. Voy. « Baromètre de jurisprudence en droit bancaire : 2019« . Les embargos et sanctions internationales sont une matière propice aux litiges.
[2] Nom complet de l’entreprise non repris ici.
[3] La banque en question avait été précédemment contrainte de payer à l’OFAC – the Office of Foreign Affairs Control, dépendant du département du trésor américain -, une amende de plusieurs milliards d’euro, pour avoir exécuté des paiements en dépit du régime américain des embargos.
[4] https://www.nbb.be/doc/cp/fr/aml/20161206_lettre_horizontale_sanctions_financieres_fr.pdf.