Régularisations fiscales de revenus et capitaux non-déclarés : quand (et jusque quand) agir ?

Publié le 15 décembre 2020

Petit rappel qui semble être passé inaperçu ces derniers temps (la crise sanitaire n’y étant certainement pas étrangère) : tel qu’il l’avait été prévu lors de la mise en place des procédures de régularisation fiscale, qui permettent à tout « repenti » d’obtenir une amnistie fiscale et pénale, les procédures régionales devraient prendre fin le 31 décembre 2020, à la différence de la procédure fédérale qui elle resterait encore applicable (mais jusqu’à quand ?).

Concrètement, ceci signifie donc qu’à compter du 1er janvier 2021, les contribuables ne devraient plus pouvoir régulariser leurs capitaux successoraux non déclarés via une procédure « organisée » à cet effet, ce qui n’est pas sans conséquences comme nous le verrons.

Théoriquement donc, à compter du 1er janvier 2021, face à une situation (somme toute classique) dans laquelle un contribuable belge hérite d’un compte bancaire à l’étranger, ne déclare pas ce compte lors du décès du défunt et ne déclare pas les revenus générés par ce compte dans sa déclaration fiscale, ce contribuable pourrait certes régulariser les impôts « fédéraux », mais il ne pourrait plus régulariser l’absence d’application des droits de succession sur le capital hérité. Exit donc toute approche « globalisée », avec l’incertitude que ceci peut engendrer (sera-t-il encore possible de régulariser du régional ? Auprès de qui ? A quel coût ? …)

A côté de la fin imminente des procédures de régularisation régionales – qui, tel qu’indiqué, avaient légalement vocation à être temporaires –, le Gouvernement Vivaldi a annoncé qu’il entendait en outre mettre fin à la procédure de régularisation fédérale en décembre 2023, alors même que cette procédure a – elle – légalement pour but d’être permanente.

Serait-ce donc la fin programmée d’une saga qui a duré plus de 15 ans ?

Face à ce clap de fin, il est toutefois important pour les contribuables « non encore repentis » de se remettre à l’esprit les règles applicables en matière de régularisation et ses opportunités, afin de ne pas éviter le bénéfice d’une procédure qui permet d’éviter l’incertitude du traitement futur des avoirs non déclarés.

L’actualité nous a montré que cette prise de conscience est essentielle : en effet, ces derniers mois, l’Administration fiscale belge a adressé en nombre des demandes de renseignements aux contribuables visant leurs comptes bancaires, leurs immeubles ou leurs contrats d’assurances-vie étrangers, à la suite d’informations obtenues de l’étranger sur base de l’échange automatique de renseignements financiers prenant la forme de « certificats CRS » (Common Reporting Standard). Il apparait donc clair que l’opacité passée qui empêchait l’Administration de connaitre le patrimoine des contribuables belges semble révolue.

Ces éléments et cette situation doivent nécessairement conduire les contribuables n’ayant pas déclaré certains revenus ou capitaux à s’interroger sur l’opportunité, dans leur cas, d’introduire une déclaration de régularisation fiscale. C’est dans ce cadre que la présente contribution a été réalisée par les équipes Tax et Estate Planning de Bazacle & Solon.

  • Petit rappel de principe

Pour rappel, la première procédure de régularisation (« DLU » – déclaration libératoire unique) avait été instaurée au terme de la loi du 21 juillet 2003. Le but du législateur était clair : encourager les contribuables à réintégrer les capitaux logés à l’étranger dans l’économie belge, par l’octroi d’une amnistie. Avec, au passage, le paiement d’une pénalité qui, elle, permettait à l’Etat belge une certaine « compensation économique ».

Actuellement, nous en sommes à la quatrième version de cette déclaration libératoire qui se voulait à chaque fois unique : la « DLUquater ». Les règles ont toutefois bien évolué depuis.

L’actuelle DLUquater, instaurée par la loi du 1er août 2016, permet, en substance, aux personnes physiques ou morales de régulariser spontanément leurs capitaux ou revenus non déclarés jusqu’alors afin de bénéficier, à l’égard de ces capitaux et/ou revenus, d’une immunité (i) fiscale, (ii) pénale, (iii) sociale et (iv) procédurale complète.

Le principe est donc demeuré similaire au fur et à mesure des procédures de régularisation que la Belgique a connues : octroyer aux déclarants une quadruple immunité à l’égard des capitaux et revenus régularisés, empêchant toute poursuite fiscale, pénale, sociale ou procédurale à cet égard, moyennant le paiement du prélèvement de régularisation. Cette immunité profite également aux tiers, dont notamment les institutions financières.

Mais là où la DLUquater se démarque (négativement), c’est dans les contraintes qu’elle impose au « repenti » : ce dernier doit en effet régulariser tout capital ou revenu pour lequel il ne peut démontrer que ce capital ou ce revenu a bien été soumis à imposition. Et cette contrainte n’est pas sans conséquences.

Evidemment, cette immunité à toutefois un coût à ne pas négliger, coût qui lui a évolué drastiquement au cours des années.

C’est pourquoi, dans le contexte actuel où les contribuables belges se sentent parfois « poussés » à la régularisation sous peine de ne pouvoir rapatrier leurs deniers logés à l’étranger et où l’avenir des procédures de régularisation (et dès lors de la possibilité d’obtenir les immunités que celles-ci offrent) est incertain, il importe de procéder dès maintenant, au cas par cas, à une analyse d’opportunité. Cette opportunité peut notamment être guidée par une appréciation des besoins économiques à moyen terme qu’un contribuable souhaiterait investir en Belgique (achat immobilier, donation à réaliser,…).

Dans ce cadre, un rappel du régime encadrant la DLUquater n’est certainement pas inutile.

  • Régulariser : pour qui ?

Sur le plan des principes, les personnes physiques assujetties à l’impôt des personnes physiques (résidents belges) ou à l’impôt des non-résidents (résidents fiscaux étrangers) peuvent procéder à une régularisation.

Les personnes morales peuvent également régulariser des revenus/capitaux, qu’il s’agisse de sociétés assujetties à l’impôts de sociétés, à l’impôt des non-résidents, qu’elles n’aient pas la personnalité juridique ou encore qu’il s’agisse de personnes morales assujetties à l’impôt des personnes morales.

La DLUquater est prévue comme étant un « one shot » : un contribuable ne peut donc introduire qu’une DLUquater.

Une DLUquater peut toutefois être introduite par quelqu’un qui aurait précédemment fait usage des anciennes moutures de la DLU. Et c’est bien là tout le nœud du problème : cette possibilité de repasser par une nouvelle version de la DLU a entrainé des interprétations contradictoires quant à la protection offerte par les anciennes DLU. Certains estiment en effet (à tort selon nous) que le fait d’avoir réalisé une DLU « ancienne mouture » n’offrirait jamais de protection totale pour l’avenir. De ce fait, vu l’absence de protection certaine due à ces interprétations divergentes, des acteurs-clés tels que les institutions financières ont été « poussées » à orienter leurs clients vers des procédures DLUquater, lesquelles leur offraient, elles, la certitude de la conformité des revenus et des capitaux de leurs clients.

Que doit faire un contribuable se trouvant face à un « tiers » qui le forcerait à régulariser ? La réponse est simple : une analyse de sa situation (via un spécialiste notamment) afin de s’assurer que cette régularisation est bien indispensable.

  • Régulariser : à quel prix ?

L’opportunité de réaliser ou non une DLU est également guidée par son coût. Tel qu’indiqué ci-dessus, l’obtention de la quadruple immunité offerte par la DLUquater n’est pas gratuite.

En résumé, ce coût dépend du caractère fiscalement prescrit ou non du capital et/ou des revenus régularisés.

En ce qui concerne les sommes à l’égard desquelles des impôts fédéraux auraient été éludés : (i) les éléments fiscalement non-prescrits (pour faire simple, les revenus des 7 dernières années) sont soumis à leur tarif normal d’imposition additionné d’une pénalité s’élevant actuellement à 25 points ; (ii) les capitaux fiscalement prescrits – étant en principe la « photo » de ces capitaux au 31 décembre 2012 – sont eux soumis à un prélèvement forfaitaire de 40%.

Au niveau régional, les capitaux fiscalement prescrits (dont la définition est autonome) subissent un prélèvement de 40%, tandis qu’en ce qui concerne les capitaux fiscalement non prescrits, cela dépend (i) de la Région compétente et (ii) de l’impôt éludé. A l’égard de tranches éloignées, le montant peut même s’élever à plus de 100%

  • Régulariser : d’accord mais est-ce opportun ?

Quand le contribuable doit-il passer par la case régularisation ? Sur ce point, il convient de porter attention au contexte actuel et, plus généralement, il convient de ne pas perdre de vue le principe même de la régularisation fiscale : offrir au déclarant une quadruple immunité.

  • Existe-t-il un risque pénal ?

La régularisation fiscale offre logiquement une immunité fiscale mais également, tel qu’indiqué, notamment une immunité pénale.

C’est dans ce cadre que la régularisation d’un capital fiscalement prescrit a notamment du sens : à partir du moment où l’Administration fiscale ne peut plus agir (logique, si la prescription fiscale est acquise), une telle régularisation ne poursuit aucun autre objectif que celui d’être amnistié pénalement. Mais le contribuable a-t-il nécessairement besoin d’une telle immunité pénale ?

C’est là finalement tout le nœud du problème : il n’est pas rare que la régularisation fiscale soit exigée par un « tiers » (une institution financière par exemple) car ce dernier souhaite s’assurer également d’une protection pénale. Mais une telle protection est-elle nécessaire ?

Dans ce cadre, c’est finalement l’analyse AML (anti-blanchiment) « tax » qui revêt une importance fondamentale et, dans ce cadre, celle de la notion tant discutée de « fraude fiscale grave ».

En effet, dans un cadre de régularisation fiscale, lorsqu’on analyse la question de l’immunité pénale, c’est majoritairement une analyse relative à la fraude commise qu’il convient d’analyser : le déclarant a-t-il commis une fraude fiscale pouvant être qualifiée de grave ? Si la réponse à cette question est négative, elle impliquerait en principe l’absence de risque pénal, et donc l’absence d’intérêt de régulariser le capital fiscalement prescrit.

L’analyse de cette question est également centrale pour les « tiers » (dont les institutions financières). En effet, de manière résumée et substantielle, un tiers peut souhaiter le bénéfice d’une immunité pénale de régularisation lorsqu’il existe à son égard un risque de blanchiment. Le blanchiment de capitaux est une infraction pénale consistant en « l’exécution de transactions successives à partir d’un produit (pécuniaire) d’un autre délit dans le but d’en camoufler l’origine illégale et d’en permettre son utilisation légale »[1]. Il s’agit donc d’une infraction secondaire pénalement réprimée qui suppose la commission d’une infraction primaire (telle qu’une fraude fiscale grave par exemple). Le législateur sanctionne non seulement (i) l’auteur de l’infraction primaire (le fraudeur), mais également (ii) ceux qui, en substance, gardent, recèlent, convertissent ou transfèrent ces capitaux illicites. Les « tiers » pourraient donc a priori être inquiétés pénalement comme coauteur ou complice et comme ayant commis un acte de blanchiment, par exemple dans le cas d’un rapatriement de fonds, sans même qu’ils aient à connaitre l’origine illicite des capitaux. Ceci explique donc pourquoi un « tiers » pourrait « forcer » un contribuable à régulariser.

Mais pour que le tiers risque des poursuites, encore faut-il qu’il existe, dans un cadre fiscal, une infraction pouvant être qualifiée de fraude fiscale grave. Cette notion est donc centrale. Malheureusement toutefois, cette notion n’est pas définie par le législateur, ni dans le Code pénal, ni dans la législation préventive anti-blanchiment.

Nous pensions que cette situation de « flou juridique » serait récemment corrigée : en effet, dans le cadre d’une évolution des règles de traitement de dossiers de fraude fiscale (le fameux principe « Una Via » devant octroyer une voie unique d’analyse d’un dossier de fraude), il avait été demandé de fournir une définition de ce que représente la fraude fiscale grave. Ceci a été réalisé via arrêté-royal.

En substance, cette définition prévoit qu’il est question d’une fraude fiscale grave en présence d’au moins l’un des critères suivants :

  • Les faits se caractérisent par leur caractère sérieux ainsi que par leur caractère organisé ;
  • Il existe des indices sérieux que les faits soient connexes à des infractions de droit commun comportant un volet financier, économique, fiscal ou social grave ou des éléments sérieux de corruption ;
  • Pour l’enquête sur les faits, des actes d’enquête judiciaires qui contiennent une mesure contraignante, devraient être entrepris ;
  • Il existe des indices sérieux que les faits servent à financer les activités d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle.

Il est par ailleurs précisé que le caractère grave de la fraude vise notamment le cas où (i) le contribuable aurait commis des infractions aux lois et arrêtés fiscaux volontairement et de manière répétée ou qui aurait commis de multiples infractions, (ii) la fraude serait liée à la production ou l’utilisation de faux documents, ou encore (iii) le montant de l’opération présenterait une ampleur considérable ou un caractère anormal. Le caractère organisé de la fraude se traduirait quant à lui par l’utilisation de constructions ou de mécanismes complexes usant parfois de procédés à dimension internationale.

A l’heure actuelle, l’impact concret de cette définition dans le cadre de la législation qui nous occupe n’est pas encore déterminé mais, en tous les cas, cette définition demeure dans l’alignement des principes dégagés au niveau européen à cet égard et ne peut donc être ignorée.

La présence d’une telle « définition » ne peut qu’être accueillie positivement : à partir du moment où la notion de fraude fiscale grave est la question centrale liée à l’opportunité ou non d’une régularisation, elle doit être définie. Nous pouvons toutefois regretter que cette définition reste malheureusement encore trop floue (qu’entend-on par « sérieux » ? A quel moment peut-on considérer que l’ampleur du montant est « considérable » ? Qu’entend-on par une opération « anormale » ? …). Vous le constatez, un premier pas a été franchi mais la route reste encore longue.

  • Le tiers connait-il son client ?

Outre l’analyse de la question de la gravité de la fraude, il est également important d’insister sur le fait qu’un tiers (tel une institution financière) dispose dans l’arsenal législatif de certaines protections.

Le législateur immunise en effet les institutions financières d’une condamnation pour infraction de blanchiment en cas d’infraction primaire fiscale à la double condition que : (i) l’infraction ne soit pas une fraude fiscale grave (cfr. supra) et (ii) la Banque se soit conformée à ses obligations imposées par la législation préventive anti-blanchiment – qui impose, en résumé, aux institutions financières de dénoncer les clients et transactions à l’égard desquels elles soupçonnent notamment une infraction de blanchiment de capitaux.

Concrètement, aucune dénonciation ne devrait donc être réalisée en cas de commission d’une fraude fiscale simple. A partir donc du moment où l’institution financière a bien rempli ses obligations KYC et KYT (et qu’elle connait donc son client et les opérations qu’il réalise), qu’elle dispose d’un dossier clair analysant la situation de son client/l’origine de son capital, et qu’elle a pu conclure à l’absence de fraude grave, elle ne devrait pas être inquiétée.

  • La régularisation doit donc rester un choix

Vous aurez (nous l’espérons) compris en quoi l’analyse d’opportunité d’une régularisation est importante : si un contribuable, face à du capital ou des revenus prescrits non déclarés, peut démontrer (à lui-même et à des tiers) qu’il n’existe aucune fraude fiscale grave, il pourrait ainsi convaincre de l’absence de risque pénal à cet égard et de l’absence d’intérêt de procéder à une régularisation fiscale.

L’opportunité de procéder à une DLUquater s’analyse donc au regard des immunités offertes et des immunités dont le déclarant aurait « besoin » en raison de l’infraction qu’il aurait commise, le cas échéant. Cette analyse doit nécessairement être réalisée au cas par cas : quelles seraient les infractions commises par le déclarant, le cas échéant : a-t-il commis des infractions fiscales ? Le cas échéant, sont-elles fiscalement prescrites ou non, s’agit-il par ailleurs de fraudes fiscales simples ou de fraudes fiscales graves ? Quelle est l’origine du capital ? Celle-ci est-elle documentée ? Peut-il être considéré que le déclarant aurait commis une infraction pénale (blanchiment de capitaux), par exemple en ce qu’il aurait reçu et conservé des capitaux (par voie de succession ou par voie de donation), qui auraient une origine illicite ?

L’opportunité d’introduire une déclaration-régularisation doit indubitablement être analysée à la lumière des circonstances d’espèces : le seul fait qu’un tiers encourage vivement un client à y recourir n’est clairement pas suffisant.

En tous les cas, à l’heure actuelle, compte tenu (i) de l’incertitude quant à l’avenir de la procédure de régularisation, (ii) de la fin imminente des procédures régionales, (iii) du contexte « flou » autour de la notion de fraude fiscale grave (iv) de l’échange international d’informations, nous ne pouvons qu’attirer votre attention sur l’importance de procéder à une analyse de la conformité de vos capitaux afin d’entreprendre, le cas échéant, les démarches nécessaires.

Nos associés spécialisés dans ces questions, Me Emanuele CECI et Me Gilles de FOY, sont à l’écoute de toutes vos questions sur le sujet afin d’y apporter leur expertise.


[1] J.-F. GODBILLE, « Les aspects répressifs : l’infraction de blanchiment dans le secteur financier », in Blanchiment : la situation des entreprises, des organismes financiers et de leurs conseillers, Bruxelles, Kluwer, 2004, p. 68. ; Art. 505 C. pén. ; voyez également E. CECI et F. LALLEMANT, « Actualités 2018 en droit pénal fiscal », in Le droit fiscal en Belgique, Coll. les ateliers des FUCaM, Limal, Anthémis, pp. 592 et s.

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