En six jours, le cours de l’action Gamestop est passé de 43,03 USD à 347,51 USD. Comment l’expliquer ? Par la technique du short squeeze pratiquée par des internautes. En droit pénal financier en Belgique, peut-on assimiler ce comportement à une manipulation de cours ou un abus de marché ?
Une explosion inattendue des actions d’une société en difficulté
Gamestop est une entreprise dont l’activité consiste à vendre des jeux vidéo en magasin, en difficulté dans une époque où les achats s’opèrent de plus en plus en ligne, au-travers des plateformes digitales. Le 21 janvier 2021, le cours de son action en bourse affichait 43,03 USD. Six jours plus tard, il augmentait de plus de 700% pour afficher… 347,51 USD.
Il ne s’agissait pas d’une hausse liée aux performances de l’entreprise mais bien du résultat d’une opération de “short squeeze” orchestrée par des utilisateurs de Reddit sur le forum r/WallstreetBets.
Le mécanisme du short squeeze en quelques mots
Pour comprendre ce qu’est un short squeeze, il faut sans doute comprendre ce que l’on appelle, en finance, un short (ou « position courte »). Un short est un produit dérivé. C’est un mécanisme par lequel des spéculateurs parient sur la baisse du cours d’une action. Ils empruntent des actions à A et les vendent immédiatement à B. Les spéculateurs attendent alors que le cours de l’action baisse pour les racheter à la personne B et les restituer à A, dégageant ainsi un bénéfice égal à la valeur perdue par l’action.
Ce procédé présente des risques : si le cours de l’action monte, les spéculateurs subiront une perte. De plus, en leur qualité d’emprunteurs, les spéculateurs sont tenus de payer au prêteur des intérêts qui peuvent parfois excéder 100% de la valeur des actions empruntées. Enfin, sur le marché, il pourrait exister davantage de shorts que d’actions : En reprenant notre scénario, un autre spéculateur pourrait shorter les actions vendues à la personne B pour les revendre à la personne A. Dans cette situation, le premier spéculateur a emprunté des actions à la personne A et le second a emprunté ces mêmes actions à la personne B. Il y a donc deux fois plus de shorts que d’actions.
Ce sont ces différents facteurs qui sont à l’origine de l’affaire Gamestop.
Une année compliquée pour Gamestop
L’année 2020 et les confinements ont causé à GameStop une importante baisse de revenus, ce qui a poussé certains hedge funds à en shorter l’action.
En août 2020, Ryan Cohen (fondateur et ancien CEO de Chewy, une société d’E-commerce) décide d’investir dans Gamestop et est rapidement imité par deux autres anciens membres du conseil d’administration de Chewy. La présence d’investisseurs expérimentés dans le domaine du e-commerce, combinée avec la sortie des nouvelles consoles Xbox X et PS5 en novembre 2020, menacent de faire monter le cours de l’action.
Pour protéger leur investissement, les hedge funds décident d’acheter encore plus de shorts pour forcer le cours de l’action à la baisse. Près de 71 millions de shorts sont émis, alors qu’il n’existe que 69,75 millions d’actions Gamestop, dont seulement 20 à 30 millions sont en circulation.
C’est précisément ce moment que choisit la communauté de r/WallstreetBets et ses milliers de membres pour acheter ces actions. Le cours monte. Les hedge funds continuent de payer des intérêts et doivent trouver un moyen de racheter rapidement des actions pour rembourser leurs emprunts et limiter leur perte.
L’offre est monopolisée par les utilisateurs de Reddit, la demande est grandissante, le cours de l’action s’envole. C’est le short squeeze.
D’importantes pertes pour les principaux hedge funds médiatisées
D’autres actions similaires ont été par la suite effectuées sur les actions de Blackberry et d’autres compagnies, mais la SEC (Securities and Exchange Commission) a depuis lancé des appels à la prudence aux investisseurs en lien avec le risque de pertes associées à la haute volatilité de certains titres boursiers populaires sur les forums de discussions. L’affaire vient de remonter jusqu’au Capitole aux Etats-Unis.
En droit pénal financier en Belgique, pourrait-on appréhender les internautes pour manipulation de cours / abus de marché ?
Le droit pénal financier vise à protéger l’égalité entre les investisseurs devant l’information sur les marchés boursiers, l’intégrité et la transparence de ceux-ci. La question des abus dans le cadre des ventes à découvert n’est pas récente.
La répression pour les manipulations de cours s’opère à la fois dans le champ du droit pénal financier selon notamment les dispositions de la loi du 2 août 2002 et à la lumière de la Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (« MAD » pour « Market Abuse Directive » ).
Une répression pénale sévère de l’abus de marché
En droit financier belge, l’article 39 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers qui condamne pénalement ceux qui, de manière frauduleuse, procèdent au “pump and dump” et se coordonnent pour pousser le cours d’un instrument financier à un niveau artificiellement élevé juste avant de les revendre en masse. Plus précisément, l’abus de marché est puni comme suit :
« Sont punis d’un emprisonnement d’un mois à quatre ans et d’une amende de 300 euros à 10.000 euros, ceux qui intentionnellement:
1° ont effectué une transaction, passé un ordre ou adopté tout autre comportement qui:
a) (…)
b) fixe ou est susceptible de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un ou de plusieurs instruments financiers ou d’un contrat au comptant sur matières premières qui leur est lié, à moins que la personne qui a effectué la transaction, passé l’ordre ou adopté l’autre comportement établisse que cette transaction, cet ordre ou ce comportement procédait de raisons légitimes et est conforme à une pratique de marché admise sur la plateforme de négociation concernée;
2° ont effectué une transaction, passé un ordre, exercé une activité ou adopté tout autre comportement influençant ou étant susceptible d’influencer le cours d’un ou de plusieurs instruments financiers ou d’un contrat au comptant sur matières premières qui leur est lié, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice;
3° ont diffusé des informations, y compris des rumeurs, que ce soit par l’intermédiaire des médias, dont l’Internet, ou par tout autre moyen, qui:
a) donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou d’un contrat au comptant sur matières premières qui lui est lié; ou
b) fixent ou sont susceptibles de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un ou de plusieurs instruments financiers ou d’un contrat au comptant sur matières premières qui leur est lié ».
La sanction peut être sévère, d’autant que l’auteur de l’infraction peut en outre être condamné à payer une somme correspondant au maximum au triple du montant de l’avantage patrimonial qu’il a tiré directement ou indirectement de l’infraction.
Pour que cette infraction pénale soit commise, l’élément moral doit être présent : le parquet financier devra prouver que le prévenu a eu l’intention d’adopter le comportement visé par la loi.
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