La CJUE a jugé que selon le droit de l’Union européenne le droit à une indemnité financière d’un employeur pour congé annuel non pris par un travailleur décédé est transmissible par voie successorale à ses ayants-droit.
CJUE, 6 novembre 2018, affaires jointes C-569/16 Stadt Wuppertal/Maria Elisabeth Bauer et C-570/16 Volker Willmeroth/Martina Broßonn
Dans les deux affaires soumises par renvoi préjudiciel à la CJUE, les maris prédécédés des requérantes Mesdames Bauer et Broßonn étaient employés en Allemagne, respectivement, par une administration publique et par un employeur privé.
Les défunts n’ayant pas pris, avant leur décès, tous leurs jours de congés annuels payés, les veuves ont – en qualité d’unique ayant-droit de leur défunt mari – demandé respectivement pour chacune d’elles aux anciens employeurs de leurs conjoints de leur verser une indemnité financière pour les jours de congé annuels non pris ces derniers à la date de leur décès.
Les employeurs refusant de leur verser cette indemnité, les héritières de ces travailleurs les ont assigné devant les juridictions du travail en Allemagne.
Dans ce contexte, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail allemande) qui a été saisi de ces deux litiges, a demandé à la CJUE d’interpréter à titre préjudiciel le droit de l’Union (Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) selon lequel tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, ce droit ne pouvant être remplacé par une indemnité financière qu’en cas de fin de relation de travail.
Si la Cour fédérale du travail allemande rappelle que la CJUE a déjà jugé, en 2014, que le décès d’un travailleur n’éteint pas son droit au congé annuel payé (CJUE, 12 juin 2014, Bollacke (C-118/13 ; voir également CP n° 83/14), elle se demande néanmoins s’il en va de la même manière lorsque le droit national, à l’instar du droit allemand, exclut qu’une telle indemnité financière puisse faire partie de la masse successorale. Cette juridiction estime cependant que les finalités du droit au congé annuel payé, à savoir permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs, ne peuvent plus être atteintes lorsque l’intéressé est décédé.
En substance, la Cour précise que le droit au congé annuel payé figurant à l’article 7 , paragraphe 1, de la directive 2003/88 en tant que principe essentiel du droit social de l’Union prévoit deux volets :
- le travailleur doit percevoir la rémunération ordinaire pour cette période de repos ;
- l’obtention d’un paiement ainsi que, en tant que droit consubstantiel à ce droit au congé annuel « payé », le droit à une indemnité financière au titre de congés annuels non pris lors de la cessation de la relation de travail.
Etant donné l’effet direct de la directive européenne, les héritiers d’un travailleur décédé sont fondés à réclamer à un ancien employeur une indemnité financière pour le congé annuel payé non pris par le défunt dès lors que le décès du travailleur a pour conséquence inévitable que celui-ci ne peut plus jouir du temps de repos et de détente s’attachant au droit à congé annuel payé auquel il était éligible. Toutefois, l’aspect temporel ne constitue que l’un des deux volets du droit au congé annuel payé, lequel constitue un principe essentiel du droit social de l’Union et est expressément
Ce volet financier est de nature strictement patrimoniale et, dès lors, est destiné à entrer dans le patrimoine de l’intéressé, de telle sorte que le décès de ce dernier ne saurait priver rétroactivement ledit patrimoine et, en conséquence, ceux auxquels celui-ci est appelé à être dévolu par voie successorale de la jouissance effective de cette composante patrimoniale du droit au congé annuel payé.
Elle précise en outre que « l’article 31, paragraphe 2, de la Charte a, ainsi, en particulier, pour conséquence, en ce qui concerne les situations relevant du champ d’application de celle-ci, d’une part, que le juge national doit laisser inappliquée une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en conséquence de laquelle le décès d’un travailleur prive rétroactivement celui-ci du bénéfice des droits aux congés annuels payés qu’il a acquis avant son décès, et, partant, ses ayants droit du bénéfice de l’indemnité financière qui s’y substitue, en tant que volet patrimonial constitutif desdits droits, et, d’autre part, que les employeurs ne sauraient se prévaloir de l’existence d’une telle réglementation nationale pour se soustraire au paiement de ladite indemnité financière auquel les astreint le respect du droit fondamental ainsi garanti par ladite disposition ».
En vertu de la législation européenne, le congé annuel non pris par le défunt, transmis par voie de succession, ouvre le droit aux héritiers de réclamer aux employeurs une indemnité financière pour congé annuel non pris par le défunt et s’impose à la juridiction nationale indépendamment de la question de savoir si le litige oppose un tel ayant droit à un employeur ayant la qualité d’autorité publique ou à un employeur ayant la qualité de particulier.
Dans des arrêts du même jour (arrêts dans les affaires C-619/16 Sebastian W. Kreuziger/Land Berlin et C-684/16 Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften eV/Tetsuji Shimizu) portant également sur la question de l’étendue du droit au congé annuel payé, la CJUE a jugé qu’un « travailleur ne peut pas perdre automatiquement ses droits aux congés annuels payés acquis parce qu’il n’avait pas demandé de congé. En revanche, si l’employeur prouve que le travailleur s’est abstenu délibérément et en toute connaissance de cause de prendre ses congés annuels payés après avoir été mis en mesure d’exercer effectivement son droit à ceux-ci, le droit de l’Union ne s’oppose pas à la perte de ce droit ni, en cas de cessation de la relation de travail, à l’absence corrélative d’une indemnité financière ».
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