Rapatrier des capitaux provenant de l’étranger est devenu, depuis de nombreux mois, un véritable défi pour le contribuable belge, ce dernier étant presque obligé de devoir retracer, preuve à l’appui, l’origine de ces fonds pour prouver que ceux-ci n’ont pas échappé à l’impôt. Et la situation ne semble pas prête de s’améliorer : la presse s’est récemment faite l’écho d’un nouveau cas de blocage auquel des contribuables belges ont récemment été confrontés face à des fonds étrangers qu’ils souhaitaient réintégrer sur le marché belge, alors qu’ils étaient pourtant prêts à « payer le prix du rapatriement ».
- Régulariser pour rapatrier
Pour rappel, suite aux évolutions réglementaires et législatives (notamment en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux), les institutions financières belges ont vu s’alourdir leurs obligations eu égard aux capitaux provenant de l’étranger. Cette situation implique notamment pour les banques de devoir connaitre tout de ces fonds, même si ceux-ci ont une origine très lointaine, sous peine de risquer des poursuites pour blanchiment de capitaux si ces fonds sont issus d’une fraude fiscale. Il est donc requis du client qu’il puisse démontrer, preuve à l’appui, que l’argent qu’il souhaite déposer sur un compte bancaire belge a bien été taxé.
Face à l’impossibilité (somme toute logique) de pouvoir apporter une telle preuve (en raison par exemple du nombre d’années écoulées), une solution est généralement proposée : passer par une régularisation fiscale (DLU quater). Une régularisation fiscale devrait en effet permettre, en principe, moyennant paiement de l’impôt potentiellement éludé et d’une pénalité, une amnistie fiscale et pénale à l’égard de ces capitaux étrangers, amnistie dont un tiers (la banque en l’occurrence) bénéficierait également. Ecrit autrement, la régularisation permettrait ainsi de considérer que ces capitaux sont « propres » et qu’ils peuvent donc être acceptés sans risque de blanchiment par les banques.
Cette régularisation suggérée a été vivement critiquée. Il est en effet difficilement acceptable d’exiger d’un contribuable belge qu’il paie un coût élevé de régularisation juste parce qu’il n’a plus de preuve matérielle de l’origine des fonds étrangers. En outre, il est tout aussi illogique de requérir d’une banque qu’elle demande à son client la traçabilité matérielle totale des fonds de ce dernier, lorsqu’on sait par exemple que la période de conservation des documents bancaires est de 10 ans, et qu’il est donc fort probable qu’il n’existe plus aucun écrit.
Le rapport de la Cour des comptes 2021 a lui-même constaté « que la réglementation belge est conçue pour répondre à la norme de l’OCDE, qui stipule que plus un fraudeur est obstiné, plus les poursuites et les sanctions doivent être sévères. Cependant, en raison du renversement de la charge de la preuve, le contribuable se trouve dans une position plus difficile en cas de régularisation que s’il était poursuivi devant le juge pénal. Cette situation peut amener certains contribuables à se détourner de la procédure de régularisation, en spéculant sur le fait qu’une transaction, voire une condamnation pénale, sera plus avantageuse. La Cour des comptes recommande dès lors d’évaluer si la procédure actuelle et en particulier le régime de la charge de la preuve répondent suffisamment à la norme de l’OCDE ».
Cette situation est malheureusement la conséquence des évolutions auxquelles tant les institutions financières que les contribuables belges ont dû faire face, bon gré mal gré.
- Mais que faire quand les capitaux ne peuvent pas être régularisés ?
La régularisation fiscale est donc vue comme LA solution pour attribuer de la « légalité » aux fonds transférés.
C’était toutefois sans compter sur l’évolution du régime de régularisation. En effet, depuis le 1er janvier 2021, suite à la fin des accords de coopération entre l’Etat fédéral et les Régions, il n’est plus possible de régulariser les impôts régionaux non déclarés (les droits de succession par exemple).
Mais cette fin pose question : si un client souhaite rapatrier des fonds étrangers provenant d’une succession non déclarée, comment peut-il faire s’il n’a plus la possibilité de régulariser ? En effet, tel qu’indiqué, à partir du moment où la solution suggérée pour permettre le rapatriement est la régularisation, le contribuable se trouverait alors dans une impasse.
Une solution avait toutefois été envisagée par certains, en ligne finalement avec ce que la Cour des comptes écrivait dans son rapport 2021 : passer par une transaction pénale. Il s’agit d’un processus qui consiste pour l’auteur présumé d’une infraction à payer une somme d’argent déterminée au Trésor pour interrompre toute poursuite pénale. L’idée des contribuables était ainsi la suivante : puisque la transaction pénale permet de mettre fin aux poursuites pénales, pourquoi ne pas payer une telle transaction pour éviter des poursuites pour blanchiment ?
La presse spécialisée a toutefois récemment relayé que le Parquet refuserait ce type de transactions. Plusieurs motifs sont avancés. Tout d’abord, la régularisation de droits de succession bénéficie aux Régions (vu qu’il s’agit d’un impôt régional). Or, les montants issus de la transaction pénale iraient non pas aux Régions mais au Fédéral. Ensuite, le Parquet n’accepterait pas de jouer le rôle de percepteur de l’impôt. Enfin, une autre raison invoquée aurait trait au fait que la transaction pénale implique l’existence de poursuites. Celle-ci ne serait donc possible que si des poursuites pour blanchiment existent déjà, ce que la régularisation tente justement d’éviter.
En conclusion, le contribuable qui souhaiterait régulariser sa situation pour permettre un rapatriement de fonds issus d’une succession non déclarée se trouve donc démuni : il n’a plus la possibilité de régulariser sa situation, car la loi ne lui permet plus de le faire. Et vu qu’il ne peut pas régulariser, il ne pourrait donc pas rapatrier ses fonds, car la banque exigera une telle régularisation pour accepter les fonds. C’est finalement « le serpent qui se mord la queue ».
Cette situation n’est bien évidemment pas acceptable, ni pour la banque, ni pour le contribuable, car les deux parties se trouvent dans l’impossibilité de pouvoir organiser un rapatriement des fonds sur le marché économique belge.
- Repenser la justification d’un rapatriement de fonds provenant de l’étranger ?
Cette situation est d’autant plus délicate qu’elle devrait être généralisée à court terme. En effet, le gouvernement avait annoncé début 2021 son intention de mettre fin au régime de régularisation fiscale au 31 décembre 2023.
Mais ce qu’il se passe actuellement suite à la fin de la régularisation régionale pose question : sans régularisation, comment le contribuable et sa banque pourront-ils régler l’impossibilité de valider matériellement l’origine des fonds et donc la suppression de tout risque de blanchiment ? Si la régularisation est l’unique solution, cela voudrait donc dire que plus aucun capital provenant de l’étranger ne pourrait être rapatrié en Belgique. C’est bien évidemment inimaginable.
De telles situations de blocage portent atteintes également notamment à la liberté de circulation des capitaux consacrée par le droit européen.
Ne serait-ce finalement pas l’occasion de repenser l’analyse qui doit être réalisée en cas de rapatriement de fonds provenant de l’étranger ?
Rappelons que l’infraction pénale de blanchiment est une infraction secondaire qui suppose la commission d’une infraction primaire qui peut par exemple être une fraude fiscale, mais pas n’importe laquelle : il doit en effet s’agir d’une fraude fiscale « grave ». Le Code pénal dispose en effet que les institutions financières peuvent être immunisées en présence d’une fraude fiscale simple, pour autant (i) qu’elles ne soient pas impliquées en tant qu’auteur, coauteur ou complice de l’infraction fiscale de base et (ii) qu’elles se soient conformées à leurs obligations imposées par la loi préventive anti-blanchiment. De ce fait, à partir du moment où l’institution financière respecte notamment ses obligations KYC/KYT et qu’elle peut exclure la présence d’une fraude fiscale « grave », elle ne devrait pas courir le risque d’être poursuivie pour blanchiment. Pour écarter l’existence d’une telle fraude, l’institution (accompagnée éventuellement d’un conseil externe) procéderait à une analyse spécifique de la situation du contribuable concerné, pour déterminer si, sur la base des informations raisonnablement à disposition, il peut être conclu à l’absence d’une fraude fiscale « grave ».
En cas d’analyse arrivant à cette conclusion, les fonds pourraient alors être acceptés. Il convient toutefois de rappeler que, si les banques jouent un rôle essentiel dans l’activité économique, elles n’exercent pas pour autant une mission de service public. Les institutions financières sont des sociétés privées, libres d’entrer en relation d’affaire avec qui elles le souhaitent et, le cas échéant, de résilier unilatéralement une relation avec un client. Ce droit, pour une banque, de refuser l’ouverture d’un compte ou de résilier une relation est une conséquence nécessaire de la liberté de commerce dont toutes les banques peuvent se prévaloir. En d’autres termes, il ne repose pas sur la banque une obligation d’accepter les fonds. Il nous semblait important de rappeler ce principe dans l’analyse globale menée sur le sujet du rapatriement de fonds.
- Conclusion
La régularisation fiscale est vue depuis toujours comme le moyen ultime d’obtenir une immunité (fiscale et pénale), sans penser au fait que le coût de cette immunité est parfois inutile s’il n’existe plus d’infraction fiscale (en raison d’une prescription par exemple) et pas d’infraction pénale (en raison du fait que l’infraction fiscale de base, prescrite, était une fraude fiscale simple).
La situation vécue actuellement par les contribuables mis dans l’impossibilité de régulariser (par absence de texte légal applicable) et donc de rapatrier leurs fonds, pourrait être l’opportunité de replacer l’analyse légale [digne d’un Etat de droit] au centre des débats en lieu et place d’une recherche de facilités qui tendrait à verser automatiquement la question des rapatriements vers une DLUquater. Cette situation serait positive tant pour le contribuable (qui ne devrait plus payer le prix d’une régularisation si elle est inutile) que pour l’institution financière (qui pourrait accepter des fonds étrangers en limitant son risque pénal sans devoir requérir une régularisation de son client). A moins que le gouvernement ne fasse volte-face et décide de prolonger la régularisation fédérale et de réinstaurer une régularisation régionale ?
Affaire à suivre…
Pour toute question sur le sujet, n’hésitez pas à prendre contact avec :
- pour les aspects fiscaux et de conformité fiscale, Me Emanuele CECI et Me Gilles de FOY;
- pour les aspects réglementaires, Me Gilles LAGUESSE et Me Pierre PROESMANS.
Le présent document a une portée informative, indicative et non contractuelle. Il n’emporte pas un conseil sur un cas particulier.