Le législateur a voté, le 15 octobre 2020, un texte de loi portant insertion des dispositions en matière de service bancaire de base pour les entreprises dans le livre VII du Code de droit économique.
Des refus d’ouverture d’un compte bancaire et de clôture unilatérale de comptes bancaires toujours plus nombreux…
Compte tenu du risque de lourdes sanctions pesant sur les Banques en matière de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme, ces dernières redoublent de prudence à l’égard de leurs clients et leurs activités. Les exigences qui pèsent sur les Banques en cette matière sont toujours plus importantes. Ces dernières, de leur côté, ne disposent pas toujours des moyens suffisants, au sein des services compliance, pour analyser chaque dossier client et chacune des opérations menées par celui-ci.
De plus en plus, nous observons que les Banques prennent la décision d’exclure certains clients (l’on parle de stratégie d’« exit » ou de « de-risking ») ou de refuser à des clients potentiels toute possibilité de débuter une relation bancaire, quitte à se passer de l’opportunité de développer une relation bancaire fructueuse et transparente avec ceux qui, en réalité, exercent une activité tout à fait légitime et dans le respect du droit.
Ce phénomène touche notamment les diamantaires, les importateurs et exportateurs de matériel informatique, les entreprises actives dans le secteur de l’Horeca ou dans l’entrepreneuriat dit de « seconde chance », les personnes exposées politiquement (les « PEP ») ou certaines personnes de nationalité étrangère – l’on pense notamment aux ressortissants belgo-congolais.
Tous sont confrontées à des refus d’ouverture ou à des clôtures de comptes bancaires par les institutions financières, ce qui leur cause de nombreux désagréments : il est impossible d’exercer une activité économique sans disposer d’un compte bancaire. D’ailleurs, depuis 1969, toute entreprise est tenue d’ouvrir un compte à vue auprès d’une banque ou d’une institution financière avant de débuter ses activités. Dans le même ordre d’idées, toute inscription à la Banque-Carrefour des Entreprises impose la communication du ou des comptes bancaires de l’entreprise.
Le Service bancaire de base pour les entreprises
Dans un précédent article, nous évoquions que la décision d’une Banque d’ouvrir ou clôturer un compte bancaire était discrétionnaire et ne devait pas être justifiée, sous deux réserves : l’abus de droit et le service bancaire de base.
Le Service bancaire de base n’est encore accessible qu’aux personnes physiques, à certaines conditions (voy. notre article sur le sujet). Mais bientôt, les entreprises pourront également bénéficier d’un droit au service bancaire de base similaire.
En effet, le législateur a voté, le 15 octobre 2020, un texte de loi portant insertion des dispositions en matière de service bancaire de base pour les entreprises dans le livre VII du Code de droit économique.
Cette loi vise également à augmenter la transparence de la relation entre une banque et son client. En effet, des obligations de motivation des décisions prises par les institutions bancaires sont reprises dans cette nouvelle législation. Elle permet également de disposer d’un moyen d’investigation efficace pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités criminelles en ce que la détention d’un compte bancaire accroît la transparence et limite les transactions en espèces.
Cette loi entrera en vigueur le premier jour du sixième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge.
Que comprend le service bancaire de base pour les entreprises ?
Le service bancaire de base pour les entreprises comprend l’exécution d’opérations de paiement, y compris les transferts de fonds, l’exécution de domiciliations, l’exécution d’opérations de paiement par le biais d’un instrument de paiement et l’exécution de virements. Le service bancaire de base permet également de verser ou de retirer des espèces sur un compte. A la différence du régime applicables aux particuliers, le service bancaire de base pour les entreprises est offert en euro et, sur demande, en dollar américain.
En revanche, le service bancaire de base pour les entreprises ne donne pas droit à l’obtention d’un crédit, une demande d’octroi de crédit ne pouvant par ailleurs être une condition à l’ouverture d’un service bancaire de base.
Dans tous les cas, lors de la demande, de l’accès ou de la détention d’un compte de paiement auprès de l’établissement de crédit, l’entreprise ne peut subir de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou sur tout autre motif discriminatoire.
Comment l’entreprise peut-elle solliciter le droit au service bancaire de base ?
1. Avoir essuyé au moins 3 refus d’ouverture de compte sur le marché
Pour qu’une entreprise – belge – puisse faire valoir son droit au service bancaire de base, il faudra en premier lieu qu’elle démontre avoir tenté d’obtenir lesdits services par le biais d’une consultation normale du marché. En d’autres termes, qu’elle ait essuyé plusieurs refus d’ouverture d’un compte et de services de paiement auprès d’au moins trois établissements de crédit différents[1].
Tout refus préalable d’ouverture d’un compte courant par un établissement de crédit doit faire l’objet d’une motivation écrite « explicite et suffisante », au plus tard dans les 10 jours ouvrables suivant la réception de la demande. Il va de soi que dans le cas où la motivation induit une communication d’informations contraire aux objectifs de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public ou de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces (ci-après la « loi anti-blanchiment »), elle ne sera pas divulguée.
La demande du droit au service bancaire de base devra également être accompagnée d’une déclaration sur l’honneur conformément à laquelle l’entreprise demanderesse ne possède pas encore de service bancaire de base ou de compte de paiement lui permettant de bénéficier des services de paiement, ni auprès d’un établissement de crédit de droit belge, ni auprès d’un établissement de crédit établi dans un autre État membre de l’Union européenne.
2. Intervention de la CTIF à l’initiative de la Chambre du service bancaire de base
La loi instaure une « Chambre du Service bancaire de base » au sein du SPF Economie. C’est cette Chambre qui sera chargée de désigner un prestataire du service bancaire de base pour les entreprises s’étant vue refuser une demande d’ouverture d’un compte à trois reprises, et sur demande écrite[2] de l’entreprise.
Une fois valablement saisie, la Chambre du service bancaire de base sollicitera de la Cellule de traitement des informations financières (la « CTIF ») un avis confidentiel au sujet de l’entreprise demanderesse des services de paiement. Il conviendra évidemment que les exigences consacrées au livre II, titre 3, chapitre 1er, section 2 de la loi anti-blanchiment soient remplies. Il s’agit des obligations d’identification des clients, des mandataires, des bénéficiaires effectifs et de vérification de ces données.
En cas de réception d’un avis positif de la CTIF ou d’absence de réaction dans un délai de 60 jours calendrier, il reviendra à la Chambre de désigner un établissement de crédit (établi en Belgique) en tant que prestataire du service bancaire de base[3], et qui sera tenu d’offrir le service bancaire de base à l’entreprise demanderesse. Les modalités de désignation des établissements de crédit seront déterminées ultérieurement par le Roi.
3. Limitations au service bancaire et base, possibilités de refus et exclusions
Le droit à un service bancaire de base n’induit pas celui de pouvoir exécuter une opération de paiement si elle engendre un solde débiteur en compte.
En outre, il demeure loisible à la Banque de refuser une demande d’ouverture des services de paiement notamment dans l’un des cas suivants :
- si l’ouverture est contraire aux dispositions de la loi anti-blanchiment[4] ;
- lorsqu’un membre de l’organe légal d’administration de l’entreprise ou une personne chargée de la direction effective ou, le cas échéant, un membre du comité de direction a été condamné pour escroquerie, abus de confiance, banqueroute frauduleuse, faux en écriture ;
- lorsque le compte de paiement de l’entreprise a été utilisé par cette dernière à des fins illégales ;
Résiliation du service bancaire de base
La Banque qui assure le service bancaire de base peut résilier sa relation avec l’entreprise concernée dans les cas où :
- aucune opération de paiement sur ledit compte n’a été enregistrée pendant plus de douze mois consécutifs ;
- l’entreprise a fourni des informations inexactes pour obtenir le service bancaire de base ;
- elle dispose (en Belgique ou dans un autre État membre de l’Union européenne) un autre compte de paiement avec lequel elle peut utiliser les services bancaires de base, outre les cas susvisés qui justifient un refus des services bancaires de base ;
- pour les mêmes raisons que celles qui pourraient motiver un refus d’ouverture de compte.
Toute résiliation implique la notification d’un préavis d’au moins deux mois, à l’exception des résiliations fondées sur la commission d’une des infractions susvisées, la communication d’informations inexactes ou lorsque la résiliation est conforme à la loi anti-blanchiment. Dans ces cas, la résiliation prend effet sans délai.
Recours extrajudiciaire possible contre un refus d’ouverture de compte ou de résiliation du service bancaire de base
Le Service de médiation des services financiers visé à l’article VII.216 du Code de droit économique est tenu de se prononcer sur les litiges qui lui sont soumis. Il est autorisé à annuler une décision prise par un établissement de crédit et la décision prise est contraignante tant à l’égard de l’établissement de crédit qu’à l’égard de l’entreprise concernée.
[1] Il convient d’entendre « services de paiements » comme étant tout service permettant de verser des espèces sur un compte ou de retirer des espèces d’un compte ainsi que l’exécution d’opérations de paiement tels que des transferts de fonds, des domiciliations, des virements ainsi que des ordres de permanents de paiement. En d’autres termes, il s’agit d’un compte bancaire duquel il est possible de retirer des fonds, et sur lequel il est possible d’en déposer. Ce compte bancaire doit également permettre à son titulaire d’exécuter des ordres de virement, des domiciliations et des ordres de paiement permanent.
[2] Un formulaire doit être mis à la disposition des entreprises sur papier ou de manière électronique par l’établissement de crédit.
[3] Le choix sera opéré parmi la liste des établissements d’importance systémique telle que définie à l’article 3, alinéa 1er, 29° de la loi du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit et des sociétés de bourse, et à l’exception des établissements visés aux articles 36/1, 13°, 14° et 25° et 36/26/1, §§4 et 6 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque National de Belgique.
[4] La législation anti-blanchiment ne peut évidemment être invoquée de manière abusive pour refuser ce service bancaire de base. Lorsque l’établissement de crédit refuse le service bancaire de base en raison du risque de blanchiment, il est tenu, en vertu de la loi anti-blanchiment, d’en aviser la CTIF.